Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/20

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criptions ma bonne protectrice. Ses lettres ne me causaient qu’une joie mélancolique, car elles ne contenaient guère que des questions de détail matériel et des offres d’argent relativement à mon travail. « Il me semble, écrivait-elle, qu’il y a quelque temps que vous ne m’avez rien demandé, et je vous supplie de ne point faire de dettes, puisque ma bourse est toujours à votre disposition. Traitez-moi toujours en ceci comme votre véritable amie. »

Cela était bon et généreux, sans doute, mais cela me blessait chaque fois davantage. Elle ne remarquait pas que, depuis plusieurs années, je ne lui coûtais plus rien, tout en ne faisant point de dettes. Quand je l’eus perdue, ce que je regrettai le plus, ce fut l’espérance que j’avais vaguement nourrie qu’elle m’aimerait un jour ; ce qui me fit verser des larmes, ce fut la pensée que j’aurais pu l’aimer passionnément, si elle l’eût bien voulu. Enfin, je pleurais de ne pouvoir pleurer vraiment ma mère.

Tout ce que je viens de raconter n’a aucun rapport avec l’épisode de ma vie que je vais retracer. Il ne se trouvera aucun lien entre le souvenir de ma première jeunesse et les aventures qui en ont rempli la seconde période. J’aurais donc pu me dispenser de cette exposition ; mais il m’a semblé pourtant qu’elle était nécessaire. Un narrateur est un être passif qui ennuie quand il ne rapporte pas les faits qui le touchent à sa propre individualité bien constatée. J’ai toujours détesté les histoires qui procèdent par je, et si je ne raconte pas la mienne à la troisième personne, c’est que je me sens capable de rendre compte de moi-même, et d’être, sinon le héros principal, du moins un personnage actif dans les événements dont j’évoque le souvenir.

J’intitule ce petit drame du nom d’un lieu où ma vie s’est révélée et dénouée. Mon nom, à moi, c’est-à-dire