Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/117

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années. Elle m’assura qu’elle se portait bien ; Jean me jura qu’elle n’avait pas été malade ; l’ayant vue tous les jours, il ne s’était pas aperçu qu’elle eût souffert. Tonino était absent, il avait été à Lugano recevoir la dernière bénédiction de sa mère mourante. Félicie avait gardé un tendre souvenir à cette parente charitable par qui elle avait été accueillie dans son malheur. Je pus penser que sa mort et le chagrin de Tonino l’avaient vivement affectée, et que, absorbée par ces chagrins de famille, elle ne songeait plus à moi ; je n’étais plus jaloux, je rougissais de l’avoir été ; je me flattais d’inspirer désormais une amitié bienfaisante et sérieuse.

Un soir, Jean me prit à part et me dit :

— J’ai mal rêvé cette nuit. Je ne suis pas superstitieux, je ne crois pas que les songes annoncent l’avenir ; mais ils ont cela de triste ou d’utile, qu’ils nous font penser à ce qui peut nous arriver et à ceux que nous laisserions dans la peine. J’ai rêvé que j’étais à la chasse et que je tuais un chamois ; mais la bête morte, c’était moi-même. Je me voyais accroché à une roche, saignant, les flancs ouverts ; mon chien Médor venait pour m’achever, je voulais lui parler, je ne pouvais pas, et il ne me reconnaissait pas. Je me suis éveillé tout effrayé et tout malade. J’en ris à présent, mais je me demande tout de même si, en cas d’accident, mes affaires sont bien en ordre. Il faut que vous m’aidiez à voir cela. Le procès que vous avez heureusement terminé à Sion vous a mis à