Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/118

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même de bien connaître ma situation et les dispositions de ma famille à l’égard de Félicie. Mes parents ne l’aiment pas ; ils sont tous riches, et je veux qu’elle soit, sans conteste, mon unique héritière. Mon testament est fait, examinons-le ensemble ; sachez s’il est bien fait et s’il assure l’avenir de ma sœur.

Après examen attentif, tout me sembla arrangé pour le mieux. Je rassemblai et rangeai tous les titres, et Jean me montra où il cachait la clef de son bureau.

— À présent, me dit-il, je suis tranquille, et je pourrai faire tous les rêves du monde sans m’en souvenir le lendemain.

Malgré son air enjoué, il me sembla qu’il était poursuivi par un pressentiment sinistre. Les gens doués d’une forte vitalité ne pensent pas à la mort sans un ébranlement sensible de tout leur être. Je vis un nuage passer plusieurs fois sur ce front large et bas qui commençait à se dégarnir et à montrer à nu la puissance de ses facultés d’obstination et de bonté.

Cette impression de tristesse fut bientôt effacée. Un jour, Jean me proposa une partie de chasse.

— Il faut, dit-il, que je tue un chamois pour faire mentir mon rêve.

Je l’accompagnai. La chasse fut bonne : au lieu d’un chamois, nous en rapportâmes deux. Médor se conduisit admirablement, et son maître lui prodigua les compliments et les caresses. Félicie, à qui nous nous étions bien gardés de parler du rêve de son frère,