Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/122

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des Morgeron, qui ne pouvaient lui garantir l’emploi de son métier dans leur vallée. Jean, avec sa bonté, sa rondeur et sa franchise, pouvait seul vaincre les scrupules du vieillard et le décider à venir avec son fils habiter la Diablerette. Quand on invoquait le bon cœur de Jean en flattant son amour-propre, on était sûr de le déterminer bien vite. Aussi son départ fut-il décidé le lendemain même. L’idée de voyager, d’agir, de parler, de convaincre, d’être utile, de se montrer aimable et généreux, dissipa sa mélancolie ; il fit avec gaieté les apprêts de son excursion, me confiant le soin des travaux à continuer, et remettant à son retour avec Tonino la fête d’inauguration de son île.

Il détestait les voitures publiques ; il y étouffait quand il y trouvait des compagnons de route, et, quand il n’en trouvait pas, il s’y ennuyait mortellement. Il faisait donc toutes ses courses à cheval, et il équipa lui-même avec soin son robuste et fidèle bidet de voyage. Nous le pressions, craignant qu’il ne se ravisât. Hélas ! en croyant le sauver, nous le poussions à sa perte.

Je pris un autre cheval pour l’escorter jusqu’à la sortie des montagnes. Je le quittai quand nous eûmes atteint la plaine, après avoir déjeuné avec lui dans une petite auberge où il fut gai et aussi calme qu’il lui était permis de l’être. Ses fantômes semblaient complétement dissipés, il causait avec raison et bonté de la situation de Tonino et de sa famille.

Quand nous nous fûmes cordialement embrassés,