Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/123

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quand il eut lestement enfourché sa monture ardente et solide, qui partit à fond de train, faisant résonner son équipage plaqué d’argent et ses fontes de pistolet, je le suivis des yeux longtemps à travers la plaine. Pouvais-je croire que je voyais pour la dernière fois cet homme si robuste et si énergique, dont la vie était une continuelle expansion, un débordement de puissance, si l’on peut ainsi dire ?

J’allais le perdre de vue lorsque je remarquai que Médor, son inséparable compagnon, qu’il prenait par la peau du cou et plaçait en travers sur le garrot de son cheval quand il le voyait fatigué, ne le suivait pas. Jean, sachant que l’animal chasseur faisait souvent des pointes dans la campagne et le rejoignait toujours, ne s’en inquiétait guère. Médor était sûr d’être mis sur le cheval quand il arriverait exténué d’une course forcée. Pourtant je le cherchai des yeux, et je le vis avec surprise derrière moi, couché sur le flanc, d’un air morne. Je voulus le renvoyer à son maître ; la persuasion et la menace furent inutiles. L’animal, épuisé et haletant, me regarda comme pour me dire qu’il était malade, et qu’il aimait mieux périr sous les coups que de tenter une nouvelle course.

Jean était trop loin pour voir ce qui se passait et pour revenir sur ses pas. Je dus ramener le chien à la maison. Le lendemain, il ne voulut ni manger ni boire ; on crut que c’était le chagrin de n’avoir pu suivre son maître. Le jour suivant, on le chercha en vain ; il avait disparu. « Ce brave Médor, pensa-t-on,