Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/148

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à cette prétendue épreuve,… prenez garde ! je…

— Vous nous tueriez tous les deux ? s’écria Félicie revenue à la joie involontaire de son instinct sauvage.

— Vous vous trompez, lui dis-je. Je ferais quelque chose de pis, je vous dédaignerais profondément l’un et l’autre.

Cette réponse l’irrita, et, pour la première fois, je la vis courroucée contre moi.

— Vous ne m’aimez pas, dit-elle ; vous admettez l’idée que votre amour peut fondre comme une première neige. Qu’est-ce donc pour vous que d’aimer ? Rien ou presque rien ! Vous parlez de passer, en un jour, de l’adoration au mépris, comme de changer votre vêtement d’été pour un vêtement d’hiver ! C’est donc comme cela qu’on entend l’affection quand on est philosophe ? On se trace un plan, on établit une loi, et, hors de là, il n’y a pas le moindre écart possible. Si l’on n’a pas pour compagne une femme sans défauts, un autre soi-même, on ne la tue pas dans un accès de colère… oh ! non ! on n’est pas assez ému pour cela ! on la tue dans son estime et dès lors dans son cœur. Allons ! une pelletée de terre sur ce cadavre, et tout est dit ! Eh bien, je trouve cela horrible, et j’aime mieux l’éternelle brusquerie, l’éternel reproche et l’éternel pardon de mon pauvre Jean. Il n’avait pas d’orgueil, lui, et, quand je le contrariais, il me contrariait aussi ; nous étions quittes.

Elle sortit sans vouloir m’entendre, et s’en alla, en pleine nuit, pleurer sur la tombe de Jean. Ainsi