Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/149

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Tonino absent était encore l’obstacle à notre mutuelle confiance. Son nom ne pouvait revenir entre nous, l’idée même d’un rapprochement de quelques jours ne pouvait être évoquée sans donner lieu à une querelle sérieuse et sans ébranler de fond en comble l’édifice de notre bonheur ! Après tant d’efforts sincèrement tentés de part et d’autre pour fonder et consolider ce grand ouvrage, le résultat était mortellement triste.

Je réfléchis durant toute la nuit au parti à prendre pour concilier nos mutuelles susceptibilités avec l’assistance et la sollicitude que nous devions à Tonino. Dès le matin, j’en parlai à Félicie.

— Occupons-nous de l’enfant, lui dis-je. Querellons-nous encore, s’il le faut, à propos de lui, mais ne l’oublions pas. Votre intention a toujours été d’en faire un cultivateur ? Eh bien, à défaut d’un peu de science que j’eusse pu lui donner en le gardant près de nous, donnons-lui une véritable éducation spéciale. Envoyons-le dans une ferme-école. Il en existe à notre portée. J’irai le voir souvent, je le surveillerai comme mon fils, et, quand il en sortira…

— Il n’en sortira pas, parce qu’il ne voudra pas y entrer, répondit Félicie en m’interrompant avec vivacité. Il est trop âgé, songez donc ! il a aujourd’hui vingt-deux ans. Ce serait humiliant pour lui de faire son apprentissage avec des enfants. Il a de la vanité, vous le savez, et le voilà en âge de ne plus nous obéir comme un petit garçon. Il n’est point dit,