Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/158

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Mon sort a changé, j’ai eu le bonheur inespéré d’inspirer une grande amitié à un homme très au-dessus de moi, et qui est devenu tout pour moi. Ne faut-il pas que, pour ne pas contrarier un bambin de ta sorte, je renonce au devoir de consacrer ma vie à celui qui daigne l’accepter ? Nous sommes devant lui pour nous expliquer comme devant un juge et pour dire la vérité comme à Dieu. Tu as eu la hardiesse de prétendre me détourner du mariage ! Tu pouvais avoir quelque raison quand il s’agissait de Sixte More, et je te laissais dire, cela m’était bien égal ; mais, quand tu as voulu me prouver que M. Sylvestre ne me considérerait jamais que comme une servante, je t’ai imposé silence. Tu as insisté, tu as été colère, presque insolent. Tu m’as offensée et tu m’as fait de la peine. Je n’ai pas voulu ennuyer M. Sylvestre de tout cela. Il ne l’a pas su. Il l’a peut-être deviné, il a eu la délicatesse de ne pas vouloir connaître les détails, et je l’en remercie. Tu me forces à les lui dire. Eh bien, fais-toi pardonner, et ne recommence plus jamais, si tu veux que j’oublie ta sottise.

Tonino pleura de nouveau, et il plaida sa cause avec une candeur qui me vainquit entièrement. Je l’observais pourtant avec toute la clairvoyance dont j’étais capable, et rien dans son langage, dans son regard, dans son accent, ne sentait plus l’impertinence ou la ruse. Ce n’était plus le Tonino que j’avais redouté en croyant le pénétrer. C’était l’enfant naïf et tendre que j’avais aimé avant d’aimer Félicie, et plus