Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/198

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au milieu de ma confiante sérénité, le coup qui me frappa en pleine poitrine, le déchirement de ce voile du sanctuaire où reposaient ma foi et mes illusions ?

Un jour, Sixte More passa près de moi dans la montagne. Je savais qu’il avait assez mal parlé de moi, et il me sembla qu’il était embarrassé pour me saluer. L’âme sans tache et sans reproche sourit de ces attaques et n’en connaît pas la blessure. Je l’abordai le premier et lui demandai des nouvelles de sa famille. Il se troubla tout à fait, haussa les épaules, et s’éloigna d’un air de dépit ou de dédain. Je restai où j’étais, le suivant des yeux. Il se retourna, fit un geste de menace, et puis quelques pas pour revenir à moi. Je l’attendis, il s’arrêta, et nous nous regardâmes dans les yeux, lui exaspéré, moi surpris mais tranquille.

Tout à coup il prit son parti, leva son chapeau, et, venant tout près de moi, il me tendit sa main, que je reçus dans la mienne en regardant toujours l’expression de son visage. J’y vis du trouble et point de perfidie. Je vous ai dit déjà qu’il était honnête homme, et je le connaissais pour tel.

— Il vous est arrivé quelque malheur, lui dis-je ; que puis-je faire pour vous ?

— Rien, répondit-il ; mais il faut que vous sachiez mes peines. Je ne peux pas m’empêcher de vous les dire, à vous que je n’aime pourtant pas. C’est plus fort que moi, votre figure me commande le repentir, et, chaque fois que je vous ai rencontré, je me suis dit : « Voilà un homme que j’ai méconnu parce que