Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/224

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— Raisonnons donc, maître Sixte. Reconnaissez-vous qu’un homme, trompé ou non, ait le droit d’empêcher un étranger de faire justice à sa place ?

— Oui, s’il fait justice lui-même.

— Et qui sera juge de cette justice ? le chef de famille ou l’étranger ?

Sixte hésita, il était intelligent.

— Monsieur Sylvestre, reprit-il, tout le monde est juge de tout le monde. Vous ne pouvez pas empêcher l’opinion…

Il avait raison, j’en convins ; mais il dut convenir aussi que l’opinion peut être égarée, et que le devoir de tout honnête homme est de juger sans passion et sans prévention.

— Je suis un honnête homme, dit-il avec orgueil, mes préventions sont fondées… Si vous vous conduisez en chef de famille ferme et clairvoyant, je me tiendrai tranquille ; mais, si vous êtes faible, je penserai que vous êtes un mari complaisant, et vous ne m’empêcherez pas de le dire. Vous avez voulu être le maître de Félicie Morgeron ; ce n’était pas la chose du monde la plus facile, et, tout instruit que vous êtes, vous n’avez pas su en faire une honnête femme. Peut-être qu’un ignorant comme moi l’eût mieux gouvernée. J’ai donc le droit de vous critiquer et je vous critiquerai en face, attendez-vous à cela, si vous ne vengez pas votre honneur et mon amour-propre ; car, moi aussi, je suis ridicule d’avoir tant aimé cette femme et de me l’être laissé enlever. Je veux qu’on sache