Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/245

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étranges lâchetés, à quelles incroyables effronteries sont entraînées les âmes ainsi dévoyées ! Je puis dire que, malgré mes tristes expériences, jusqu’à ce jour-là, je ne connaissais pas le cœur humain, — ce qu’on appelle le cœur humain, ce que j’appelle, moi, le cœur farouche, personnel, antisocial et antireligieux des êtres qui n’ont pas la notion du vrai devoir humain !

Le jour suivant, comme j’avais annoncé une course qui m’éloignait complétement du lieu du rendez-vous, je vis ma femme s’habiller de bonne heure et se disposer à partir avec moi. M’étais-je trompé sur ses intentions ? Son regard de consentement avait-il menti à Tonino ? ou bien avait-elle eu des remords dans la nuit, et voulait-elle, en s’enchaînant à mes pas, résister à l’attrait fatal qu’elle subissait ?

Je vis bientôt que c’était une feinte. Elle eut tout d’un coup la migraine au moment de me suivre. J’étais résolu, en tout état de cause, à ne pas m’absenter et à ne pas la laisser s’absenter elle-même. Je l’engageai à se coucher, et je lui annonçai que, pour la dispenser de la surveillance du ménage, qui était toujours pour elle une si grosse affaire, je ne sortirais pas de la maison ce jour-là.

Elle ne sut pas me cacher sa surprise et son déplaisir. Elle n’était pas, disait-elle, très-sujette à la migraine, et cet état, chez elle, n’était ni très-grave ni très-douloureux ; je n’avais pas l’habitude de m’en tourmenter ni de lui servir de garde pour si peu. J’allais perdre