Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/296

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force nécessaire pour accomplir mon devoir. Sans doute il est des âmes assez fortes pour porter à la fois le sentiment du devoir et celui de la douleur ; moi, je n’étais pas un stoïque proprement dit, ne l’oubliez pas. J’étais, j’ai toujours été tendre. Quand j’ai du courage, et j’en ai quelquefois, c’est à la condition de m’abstraire de ma personnalité, de me considérer comme une machine obéissante, agissant sous l’empire d’une volonté supérieure à moi. C’est ma manière d’être religieux, chacun a la sienne, résultant des ressources que lui offre son organisation.

Je peux donc m’anéantir en quelque sorte jusqu’à un certain point, me rayer de mes propres comptes, ou du moins me compter pour un zéro n’ayant de valeur que par rapport aux chiffres qui doivent régler la conduite et la destinée. Je peux, à un moment donné, quand je plie sous une vive souffrance, sous une extrême fatigue ou sous un suprême chagrin, prononcer sur moi cet arrêt temporaire, il est vrai, mais énergique et utile : Peu importe ! C’est comme une suspension de sensibilité que je peux m’imposer à moi-même dans les très-grandes crises, non dans les petites. Il y a de cela chez tous les hommes. On sait moins réagir contre une contrariété que contre un désastre. Ceux qui se sont un peu observés en se sentant vivre savent que leurs faiblesses trouveront l’occasion d’être rachetées par quelque inspiration de grandeur, et il leur serait difficile de croire qu’un principe divin de force, de sagesse et de bonté ne plane pas