Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/297

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au-dessus d’eux pour rendre leur tâche possible, leur bon vouloir profitable.

J’avais donc traversé et supporté l’épreuve horrible des premiers jours sans égarement et sans faute. Pendant près de deux mois, tout entier à l’action, je m’étais interdit et préservé de trop souffrir. Je ne m’étais pas écrié une seule fois en levant les bras contre le ciel : « Suis-je assez malheureux ! »

Le moment de la réaction où l’esprit se détend, où il faut bien le laisser se détendre sous peine de le voir se briser, approchait inévitablement. Félicie provoqua elle-même la crise amère.

Sa santé se rétablissait à vue d’œil. Il semblait que ma fermeté tranquille l’eût délivrée du démon qui l’avait possédée ; elle ne feignait plus d’oublier Tonino, elle l’oubliait réellement. J’étudiais les soubresauts de souffrance que lui causait son nom quand on le prononçait devant elle, le calme, l’espèce de bien-être moral et physique où elle se plongeait, quand des journées entières se passaient sans qu’elle fût forcée de se rappeler son existence. Je mettais tous mes soins à prolonger ces jours d’oubli nécessaires à sa guérison intellectuelle. Le fantôme s’évanouit très-vite, et le repentir commença.

Je m’en aperçus au redoublement de soins et de soumission dont je fus l’objet. Félicie avait été dissimulée avec audace et résolution, mais elle n’avait pas été réellement hypocrite. Plus clairvoyant, j’eusse deviné alors aux mille excuses assez plausibles, mais