engloutira tout de suite notre avoir et les espérances de mon frère.
L’insistance de Félicie Morgeron me chagrina, et je me défendis du rôle qu’elle persistait à me faire accepter. Elle était d’humeur impérieuse dans la discussion ; aussi s’animait-elle très-vite, et, perdant patience :
— Comment ! s’écria-t-elle, vous avez l’air de me dire que je n’ai pas le droit de me ruiner pour un caprice de mon frère ? Écoutez ! il faut en finir. Ce que vous ne savez pas encore, vous l’apprendrez au premier jour, si vous restez seulement une quinzaine encore dans le pays ; j’aime mieux vous le dire moi-même tout de suite. Sachez que je dois tout à mon frère, et que je ne vis que pour lui. Il m’a pardonné ce que personne dans la famille et dans la contrée ne me pardonnera jamais. À quinze ans, j’ai été séduite par un étranger qui m’a abandonnée… Mon père, rigide protestant, m’a chassée. Ma mère en est morte de chagrin… J’ai erré sur les chemins, j’ai mendié ; repoussée de partout, j’ai été en Italie à pied, avec mon enfant dans les bras, pour retrouver mes parents maternels. Ils étaient dans la misère, pourtant ils m’ont donné asile. J’ai travaillé, mais j’avais trop de fatigue ; j’ai été malade, j’ai perdu mon pauvre enfant ! Je voulais mourir, quand un beau soldat est arrivé auprès de mon lit d’agonie : c’était mon frère Jean qui avait ignoré mon malheur, étant au service. Il venait de l’apprendre, il avait fini son temps, il