Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/49

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naissiez les détours et les chutes de notre torrent porteur de terre.

L’ascension fut, en effet, des plus pénibles, et en plusieurs endroits des plus dangereuses. Si une pluie d’orage nous eût surpris là, nous étions perdus ; mais le temps était superbe, et le torrent supérieur amenait peu d’eau. Nous pûmes constater que nulle part il ne rencontrait d’obstacles sérieux, et qu’en le débarrassant çà et là de quelques roches il pourrait nous descendre, dans ses jours de colère, une très-notable quantité de terre. Les deux rives appartenaient aux Morgeron, l’une à Félicie, l’autre à Jean. Cette rigole presque verticale servait de limite à leurs héritages.

Jean était radieux, exalté. Il parlait aux rapides frissonnants et aux cascades grêles qui chantaient sur notre tête et sous nos pieds.

— Tu pourras te fâcher à présent, petite méchante, disait-il à l’eau harmonieuse et limpide qui nous enveloppait dans le brouillard irisé de ses chutes : plus tu gronderas, plus nous serons contents ; plus tu croiras nous faire de mal, plus tu nous feras de bien !

Parvenus au sommet de son parcours, nous dûmes gravir l’escarpement de la montagne pour ne pas être entraînés par la chute principale qui mesurait une dizaine de mètres. En nous retenant aux petits mélèzes qui croissaient dans la roche, nous pûmes examiner la brèche que faisait cette eau en se précipitant, et les couches dénudées nous permirent de nous assurer qu’il y avait là une belle épaisseur de terre de