Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/71

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risque. Félicie lui donnait tort ; cette étrange fille l’aidait et le poussait à satisfaire sa passion pour les aventures, elle me trouvait trop prudent, et pourtant rien au monde ne pouvait l’empêcher de batailler en paroles et de dire à ce frère adoré et gâté qu’il était fou.

Mais les discussions ne dégénéraient plus en querelles. J’étais là pour mettre les parties d’accord en les obligeant à se faire des concessions, en donnant raison à l’un et à l’autre dans la limite où chacun avait raison. Tonino disait comme moi. Félicie rejetait sur lui, je ne dirai pas sa mauvaise humeur, elle n’en avait jamais, mais son besoin d’épiloguer, de railler et de contredire.

Avec moi seul, elle était comme neutre ou enchaînée, et sa déférence se traduisait par des questions dont elle écoutait attentivement la réponse. J’essayais alors de lui donner la notion de la vie collective que sa forte individualité avait peine à admettre. J’excusais, j’embellissais, je poétisais l’ardente manie de son frère, en parlant de la solidarité qui règne entre les hommes et du progrès général que chacun doit servir en vue de tous. Cette gloriole que Jean appelait la gloire, je m’efforçais d’en faire de la gloire vraie et bien entendue, et Jean, qui avait beaucoup de noblesse dans sa vanité, s’enivrait de l’idéalisation que je lui présentais.

Tonino écoutait tout cela avec ses beaux grands yeux étonnés, et il regardait Félicie pour savoir ce qu’il devait penser de mes théories. Félicie ne pouvait