Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que nous ne sommes rien nous-mêmes et que nous n’existons pas ; car rien ne peut se passer de sa raison d’être.

Le mystère est impénétrable quand on veut le soumettre aux calculs de l’expérience. Il échappe même à ceux de la plus savante logique ; mais Dieu se prouve précisément par l’absence de preuves à notre usage. Il ne serait rien de plus que nous, s’il tombait sous le criterium de nos démonstrations. La notion que nous avons de lui réside dans une sphère où nous n’entrons qu’à la condition de nous sentir supérieurs à nous-mêmes, où la foi est une vaillance du cœur, une surexcitation de l’esprit, une hypothèse du génie ; c’est l’idéal du sentiment, et, là, tout raisonnement se résume en deux mots : Dieu est, parce que je le conçois.

J’étais perdu dans ces contemplations d’une simplicité et d’une douceur extrêmes, quand des émotions bien inattendues et bien étranges me ramenèrent sur la terre.

Un matin, j’étais le plus heureux des hommes, j’avais oublié mes peines, j’étais bien libre et bien seul. La vaste prairie de la Quille commençait à se dorer des rayons du soleil. Le site eût pu sembler mortellement triste à des yeux distraits ; il me paraissait admirable. Pas un arbre, pas un buisson n’interrompait la solennelle uniformité de sa teinte verte, et ne dissimulait la grâce de ses courbes hardies et souples. Les pics voisins, plus élevés, fermaient étroi-