Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/77

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tement l’horizon de leurs fières dentelures ou de leurs neiges splendides. Les alouettes chantaient au-dessous de moi, je ne sais où, dans une région qui était un zénith pour les habitants de la plaine, un nadir pour moi. Le glacier qui s’interposait encore entre le soleil et le bas de la prairie se teignait en rose à sa cime, en vert d’émeraude à sa base. Le temps était pur, pas une brise ne frissonnait sur l’herbe. Tout ce calme avait passé dans mon âme, je ne pensais plus, je vivais d’une vie pour ainsi dire latente, comme les masses de glace et de rochers qui me protégeaient…

L’apparition de Félicie Morgeron à cette heure matinale et au milieu de cette solennité de l’aurore me surprit comme un événement impossible à prévoir. Et quoi de plus simple pourtant ? Elle s’étonna de mon étonnement.

— Je n’ai pas dormi cette nuit, me dit-elle, j’ai eu mal à la tête, j’ai voulu faire une promenade, et, afin d’être rentrée pour le déjeuner du frère, je suis sortie comme la lune éclairait encore. Je vous ai apporté ce panier ; car Tonino oublie toujours mille choses nécessaires. Je suis venue vite, il faisait froid au départ. À présent, j’ai chaud, je me repose un instant et je m’en retourne. Ne vous dérangez pas pour moi.

J’essayai, tout en la remerciant de ses gâteries, de lui dire qu’elle ne me dérangeait pas, puisqu’elle m’avait surpris ne faisant rien.