Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/106

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entoure sur le globe, et que tous les peuples qui nous ont précédés.

PIERRE. — Mais apercevez-vous, monsieur Jacques, sur votre montagne, du côté d’en sus, quelque chose que les autres n’ont pas encore avisé ?

JACQUES. — Ah ! vous écoutiez donc ma comparaison, mon ami Pierre ?

PIERRE. — J’ai vu tout ça, comme si vous me le faisiez rêver. Dites donc ce que vous voyez là-haut, là-haut ! comme si c’était la fumée de tabac qui monte au plafond de cette chambre, avec les chandelles qui percent dedans ? Regardez bien !

JACQUES. — Je vois des rayons et des nuages, maître Pierre.

PIERRE. — Si vous ne voyez que ça, restons comme nous sommes, de crainte d’être pis !

LE CURÉ. — Voilà une parole d’un grand bon sens, Pierre !

MAURICE. — En ce cas, maître Pierre, n’épousez pas la Maniche, car vous ne serez peut-être pas aussi heureux marié que garçon.

PIERRE. — Oh ! que si. Je prétends être mieux !

DAMIEN. — Ne prenez pas de métairie, vous en sortirez peut-être plus pauvre que vous n’y serez entré.

PIERRE. — Je compte bien y prospérer, au contraire !

EUGÈNE. — Et ne mettez jamais d’enfants au monde, car ils pourront bien être plus à plaindre que vous.

PIERRE. — Par la grâce de Dieu, j’espère qu’ils profiteront de ma peine !

FLORENCE. — Donc, vous avez l’espérance !

JACQUES. — Et la foi, par conséquent !

LE CURÉ. — Distinguons…

JACQUES. — Oui, distinguons, l’abbé ! L’homme croit au bonheur terrestre ; il le cherche, il le veut ; aucune fatigue, aucune souffrance, aucun désastre ne le détourne de son but. Et il ne rêverait pas la possession de la vérité religieuse et sociale qui, seule, peut assurer ce bonheur matériel !