Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/16

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MAURICE, posant un panier. — Bien ! Nous travaillerons plus commodément ici que dans l’atelier. Prenons-en chacun deux, et ce sera vite fait. À vous, Émile ; commencez par couper le cou de celui-ci.

ÉMILE. — Lui couper le cou ? Oh ! je ne suis pas adroit de mes mains. Je ne me charge que de relever les cadavres.

EUGÈNE. — Eh bien, paresseux, jouez-nous un air de flûte pendant l’opération.

ÉMILE. — Je ne me promène pas avec ma flûte, comme un berger de Virgile ! Je vous regarderai travailler. Ça m’occupera.

EUGÈNE. — Allons, voilà qui est fort proprement rajusté ! Où avais-tu la tête, Maurice, quand tu as planté la leur si près des épaules ?

DAMIEN. — Il ne faudrait pourtant point passer d’un excès à l’autre. Ils étaient bossus, et à présent ils ont l’air de tambours-majors. Ton Isabelle ressemble à une grue.

EUGÈNE. — Non, non, ça disparaîtra dans la collerette. Passe-moi le docteur ; c’est toi qui recloues, Maurice ?

MAURICE. — Oui. Eh bien, où est donc mon marteau ?

DAMIEN. — Là, à tes pieds, dans la mousse.

EUGÈNE. — Ah ! ah ! que ferons-nous de celui-ci ?

MAURICE. — Le diable ? Ma foi, je ne sais pas. Il fait donc toujours partie de la troupe, lui ? En lui ôtant ses cornes, ça nous ferait un nègre.

EUGÈNE. — Nous en avons déjà un ! Tiens, le voilà, ce pauvre Lipata, un bon petit moricaud très-gai, très-gourmand, qui montre toujours ses dents blanches pour rire ou pour manger.

MAURICE. — Voyons !… Nous avons… trente, trente-deux… trente-trois acteurs, en comptant le diable… C’est un compte impair. Au diable le diable !

ÉMILE. — Ah ! ce serait dommage ! Une troupe de comédie sans diable, c’est impossible.

EUGÈNE. — Nous ne nous en servons plus. C’était bon dans les commencements, quand nous représentions les Aventures de Polichinelle ; mais Polichinelle lui-même n’existe