Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/20

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MAURICE. — Oui, mais l’encolure, monsieur, tout est là ! Si les trois doigts qui font mouvoir cette tête et ces mains n’ont pas la place nécessaire, adieu la grâce et le naturel des mouvements. Ces malheureux acteurs subissent, vous le voyez, une opération grave. On leur met à tous une rallonge de deux centimètres au cou. Mais nous sommes proches voisins, et dès que la pièce sera faite, nous irons vous avertir. Et… puisque vous voilà, donnez-nous un conseil. Faut-il renouveler l’engagement de ce personnage dans la troupe ?

JACQUES. — Le diable ? Mais oui, c’est un type de la comédie italienne.

DAMIEN. — C’est un symbole, n’est-ce pas ?

JACQUES. — Vous l’avez dit, c’est un symbole.

MAURICE. — Mais il ne fait plus peur à personne.

JACQUES. — Fait-il encore rire ?

EUGÈNE. — Pas même cela. Nous en avons abusé.

JACQUES. — Alors rependez-le à cet arbre. Il fera au moins peur aux oiseaux.

EUGÈNE. — Bah ! les oiseaux ne sont plus dupes de rien. On a beau inventer les bonshommes les plus fantastiques…

JACQUES. — C’est vrai, ne fait pas peur aux moineaux qui veut.

DAMIEN. — Voyons ! l’arbre est justement un alizier. Si cette branche est respectée… nous le verrons demain, et il sera décidé alors que le diable peut encore servir à quelque chose.

MAURICE. — Nous allons tenir conseil là-dessus en dînant. Voulez-vous être des nôtres, messieurs ?

JACQUES. — Pas aujourd’hui ; une autre fois ! Venez, Ralph ! Ne retenons pas plus longtemps ces jeunes gens, qui ont l’appétit plus impérieux que notre âge ne le comporte. (En s’éloignant avec Ralph.) Oui, le dogme a été la base nécessaire des religions ; c’est l’édifice du passé, c’est l’héritage sacré des idées premières… Nous n’avons donc ni à le recommencer…

(Ils s’en vont en causant.)