Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/315

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

JENNY. — Quoi ! Céline, c’est toi ? et tu pleures, ma pauvre camarade ? Est-ce que c’est comme hier au soir ?

MYRTO. — Oui, oui ! C’est pire qu’hier au soir.

JENNY. — Comment est-ce qu’il ne t’aime pas ?

MYRTO. — C’est toi qui me demandes cela, Jenny ?

JENNY. — Mais oui, je te le demande ! J’ai causé avec lui, ce matin, et il me paraissait si bien disposé à te plaindre, à t’encourager, à t’absoudre même !

MYRTO. — Je sais tout cela. Il sera tout pour moi, excepté mon amant. Tiens, Jenny, je veux tout te raconter. Il m’a tenu parole, il est venu me chercher hier soir ; mais nous n’étions pas seuls, monsieur Jacques était avec nous.

JENNY. — Ah !… Je ne savais pas, moi.

MYRTO. — Ah ! Jenny ! de quel ton tu dis cela ! et comme tu respires, à présent !

JENNY. — Moi ? Pourquoi donc ?… Je ne te comprends pas.

MYRTO. — Si, tu me comprends. Ah ! il y a bien toujours un peu d’hypocrisie dans ce qu’ils appellent la pudeur des femmes ! N’importe, c’est comme ça qu’ils nous aiment, et c’est comme ça qu’il faudrait être… Eh bien, écoute. Nous avons voyagé dans le brouillard, nous nous sommes arrêtés dans une vieille église, et là, Jacques et lui m’ont dit des choses qui m’ont torturée, et d’autres choses qui m’ont donné du courage. Florence nous a quittés. Jacques m’a conduit jusqu’à la ville, me consolant, me soutenant toujours. Mais là, au moment de partir tout à fait, la force m’a abandonnée, et j’ai cru, oui, j’ai bien cru que j’allais mourir de chagrin, ou redevenir… de rage ! ce que je ne veux plus être ! Alors, ce bon vieillard m’a sauvée en me brisant encore plus le cœur… C’était le plus rude coup ! Mais il le fallait bien ! Sans cela, je ne me serais jamais soumise ! Et quand il m’a eu tout dit… j’ai eu un accès de rage terrible, Jenny ! Je t’aurais tuée, si tu avais été là ! Ah ! ne crains rien, c’est fini, j’ai réfléchi, j’ai prié, j’ai pleuré, et tu vois que je suis vaincue puisque je pleure encore…

JENNY. — Eh bien, pleurons donc ensemble, ma pauvre