Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/318

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à monsieur Ralph, à madame Brown, qui m’ont parlé si bien ! Tiens, voilà le projet qu’ils ont fait pour moi, et le conseil que j’ai suivi. Quand monsieur Jacques m’a ramenée ici (oh ! il le fallait bien, car je me sentais et il me voyait bien perdue sans cela !), il m’a fait jurer de ne pas revoir Marigny et de partir pour une petite maison de campagne où il m’a fait annoncer ce matin et où j’étais attendue. C’est à une lieue d’ici, dans un endroit très-désert, mais bien joli, chez de braves gens qui m’ont reçue comme leur fille. C’est ce bon vieux Anglais qui m’y a conduite tantôt. Je n’ai pas voulu que ce fût monsieur Jacques, je craignais de le trop fatiguer. Je l’ai quitté en le bénissant, en lui jurant d’attendre bien sagement ses conseils et ses consolations, car il viendra me voir souvent, il me l’a promis. Il m’a fait donner ma parole d’honneur de ne revoir Marigny que quand il me l’amènerait là-bas… avec toi, Jenny !… Ma parole d’honneur ! comprends-tu ? Il me l’a demandée, et il y croira. Ah ! je ne voudrais pas y manquer, j’aimerais mieux mourir… et la belle, la bonne, la douce femme de Ralph… Sais-tu ce qu’elle a fait au moment de mon départ ? Elle m’avait bien parlé et prêché tête à tête, et quand je me suis décidée à obéir, quand je lui ai demandé la permission de l’embrasser, elle, cette mère de famille, cette femme qui a vingt-cinq ou trente ans de vertu sur la tête, elle m’a embrassée comme tu m’embrasses, Jenny. Ah ! si ta fière et dure comtesse m’avait traitée comme cela, hier, quand tu le lui conseillais, quand je tenais déjà sa main de marbre dans ma main tremblante… j’aurais renoncé à me venger, et j’aurais aujourd’hui tout le mérite du pardon ! Mais ce n’est pas tout, Jenny ! Vois un peu comme on s’intéresse à moi, comme on a confiance en moi ! Pendant que cette dame parlait chez monsieur Jacques, il y avait dans le petit jardin deux belles jeunes filles de quinze à seize ans, qui se promenaient en riant de si bon cœur ! deux amours, deux anges blonds avec de grands yeux si purs… comme les tiens, Jenny ! Et moi, je les regardais malgré moi pendant que leur mère me consolait, et je pensais à ma jeunesse, à