Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/56

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EUGÈNE. — Dites donc, monsieur le curé, que ferez-vous de l’argent qu’on donnera à votre église pour avoir le droit d’embrasser notre diable ?

LE CURÉ. — Mes amis, croyez-moi si vous voulez, mais je suis un brave homme, pas cafard, et on dit du mal de moi à cause de cela ; et si j’étais cafard, on me reprocherait d’être cafard. Ainsi va le monde avec nous ! Personne ne veut plus de nous ; il n’y a que les pauvres paysans, qui sont mauvais et bêtes, et dont nous sommes seuls assez patients pour supporter les superstitions, les exigences et les injustices ! Nous sommes encore les seuls qui leur donnions le genre de consolation qu’ils sont capables d’accepter, des momeries quelquefois, si vous voulez ; mais si nous ne leur passions beaucoup de paganisme, nous n’aurions pas, de leur part, un brin de foi à la religion. Philosophez là-dessus et trouvez mieux si vous pouvez. C’est encore nous qui nous rebutons le moins de leur faire un peu de bien. Tous les gros sous qu’ils jettent aux fétiches, nous les ramassons pour les leur rendre en assistance ; et voilà un diable qui n’est pas plus vilain que bien des anges dont la sculpture primitive a orné nos églises ; voilà un diable qui n’a fait de mal à personne, et qui me rapportera de quoi donner, cet hiver, du pain et des sabots à plusieurs chrétiens rafalés.

MAURICE. — Emportez-le donc, cher curé ; ce sera une belle destinée pour notre marionnette.

LE CURÉ. — Allons, mes enfants, bonne nuit !

(Il part au galop.)

EUGÈNE. — Ma foi, c’est un excellent homme que ce grognard. Si nous lui chantions la Colonne ?

MAURICE. — Il ne l’entendrait pas, son cheval fait feu des quatre pieds. Chantons la Colonne, si vous voulez, pour la châtelaine de Noirac.

DAMIEN. — Elle aime cet air-là peut-être ?

EUGÈNE. — J’en doute, elle épouse un marquis.

(Ils s’éloignent.)

CHŒUR DES GRENOUILLES, dans le fossé du château. — Voici le