Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/65

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assisterez les pauvres, les malades ; vous disposerez de ma bourse dans la proportion de 2,000 à 3,000 mille francs cette année.

LE CURÉ. — Je vous en remercie pour les pauvres, madame la comtesse, et je ferai de mon mieux pour bien employer vos bienfaits. Cependant, je vous l’avouerai, j’aimerais mieux vous les voir distribuer vous-même.

DIANE. — Pourquoi ? Vous ferez mieux que moi. Vous êtes depuis quelque temps dans le pays ?

LE CURÉ. — Depuis trois ans.

DIANE. — Eh bien, vous connaissez tout le monde ; moi, j’arrive et je ne connais personne. Je serais trompée, et d’ailleurs je n’ai pas le temps !

LE CURÉ. — Madame la comtesse n’a pas le temps ?

DIANE. — Cela vous étonne ? Vous avez raison ! mais en réalité, tout en n’ayant rien à faire, je suis de ceux qui ne trouvent le temps de rien ! M’astreindre à quoi que ce soit au monde, y mettre de la suite… cela m’est impossible ! Tantôt je suis malade, tantôt je rêve, tantôt je suis trop triste ou trop gaie ; enfin, prenez-moi pour ce que je suis ; j’ai l’intention de faire du bien, mais je ne m’y entends pas, et puisque je n’ai à vous offrir que de l’argent, faute de zèle, prenez toujours l’argent, et priez pour que le zèle me vienne.

LE CURÉ. — Ce sera comme vous l’ordonnerez, madame ; c’est déjà beaucoup que d’avoir bonne intention, et Dieu a dit : paix aux hommes de volonté. J’aurais souhaité, dans l’intérêt de votre propre consolation, vous persuader de voir par vos propres yeux et de donner par vos propres mains. Cela eût chassé le désœuvrement et la mélancolie dont vous semblez vous plaindre…

DIANE. — Croyez-vous ?

LE CURÉ. — J’en suis certain. En se dévouant aux peines des autres, on oublie les siennes propres.

DIANE. — Que faudrait-il donc faire ? Voir moi-même les nécessiteux et les interroger sur leurs besoins ? Eh bien, envoyez-les-moi, monsieur le curé, avec un mot de votre main ; ils trouveront toujours créance auprès de moi.