Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/103

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il faut qu’elles soient grandes d’aspect, et peu m’importe l’espace qu’elles occupent. Il faut que la hardiesse des masses ranime en moi quelque fibre hardie, que la placidité ou la furie des couleurs apaise ou enflamme mon sentiment. Je ne veux pas m’imaginer la nature, pas plus que critiquer ou refaire dans ma pensée les manifestations de l’art ; je m’abandonne entièrement à ce que je cherche, et si rien ne s’empare de moi, c’est qu’il n’y a là rien pour moi.

J’erre autant qu’un autre dans mes appréciations, plus qu’un autre peut-être, car j’ai en moi des émotions terribles, ou des lassitudes inouïes, ou des attendrissements puérils, et je ne sais rien combattre quand je suis seul. Tout à ce que j’aime, je ne me fais responsable de rien envers moi-même. C’est pour cela que je me plais souvent à des choses qui n’existent pas beaucoup par elles-mêmes, mais qui suffisent au débordement ou au manque de vie qui se fait en moi.

Ici je suis calme et je me rends compte de tout. La solitude m’est bonne. Elle me prend et me berce. Elle me rappelle nos anciennes amours, son despotisme que j’ai trop subi dans mes jeunes années, mes infidélités raisonnées quand le devoir a parlé plus haut qu’elle, et ces infidélités, elle me les pardonne, que dis-je ? elle m’en récompense comme si elle les comprenait. Et pourquoi ne les comprendrait-elle pas ? La solitude n’est-elle pas un être, un grand être multiple, la voix même, le sein même de la nature, qui nous parle et nous étreint ? N’est-ce pas la mère commune,