Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/11

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— Ah ! c’est du dépit, cela, et non pas de l’oubli !

— Non, madame, c’est du raisonnement. N’ayant rien, mais sentant que j’étais quelque chose, je n’ai pas voulu faire un sot mariage, et, bien loin d’avoir du dépit, j’ai pardonné à celui qui m’avait abandonnée ; je lui ai pardonné surtout le jour où, voyant ma sœur et ses quatre enfants dans la misère, j’ai compris la douleur d’un père de famille qui meurt à la peine sans pouvoir rien laisser à ses orphelins.

— Et vous avez revu cet ingrat ?

— Non, jamais. Il est marié, et je n’y pense plus.

— Et depuis vous n’avez pensé à aucun autre ?

— Non, madame.

— Comment avez-vous fait ?

— Je ne sais pas. Je crois que je n’ai pas eu le temps de songer à moi. Quand on est très-pauvre, et que l’on ne veut pas se laisser aller à la misère, les journées sont bien remplies, allez !

— Mais on a dû cependant vous obséder beaucoup, jolie comme vous l’êtes ?

— Non, madame ; personne ne m’a obsédée. Je ne crois pas aux persécutions qui ne sont pas du tout encouragées.

— Je pense comme vous, et je suis contente de votre manière de répondre. Donc vous ne craignez rien pour vous-même dans l’avenir ?

— Je ne crains rien du tout.

— Et cette solitude du cœur ne vous rendra pas triste, maussade ?