Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/23

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Il ne le reçut pas. Caroline avait commencé son éducation à dix ans ; à dix-sept ans tout fut interrompu. Voici ce qui était arrivé. M. de Saint-Geneix, n’ayant qu’une douzaine de mille francs de rente et rêvant pour ses filles un avenir digne de leurs charmes, s’était laissé entraîner avec une naïveté déplorable dans des spéculations qui devaient quadrupler son avoir, et qui l’engouffrèrent en un tour de main.

Un jour il vint, très-pâle et comme frappé de la foudre, chercher ses filles à Paris. Il les emmena dans son petit manoir sans rien expliquer, et se plaignant seulement d’un peu de fièvre. Il y languit pendant trois mois, et y mourut de chagrin en avouant sa ruine à ses deux futurs gendres, car, dès l’apparition des demoiselles de Saint-Geneix à Blois, beaucoup d’aspirants s’étaient présentés, deux entre autres qui avaient été agréés.

Le fiancé de Camille était fonctionnaire, honnête homme, sincèrement épris ; il l’épousa quand même. Celui de Caroline était propriétaire. Il raisonna plus serré, invoqua la volonté de ses parents et se retira. Caroline avait du courage. Sa sœur, plus faible, fût morte de douleur ; aussi n’avait-elle pas été abandonnée. La faiblesse se fait respecter plus souvent que l’énergie. L’énergie morale est une chose qui ne se voit pas et qui se brise en silence. Tuer une âme, cela ne laisse pas de traces. C’est pour cela que les forts sont toujours maltraités et que les faibles surnagent toujours.

Heureusement pour Caroline, elle n’avait pas aimé