Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/289

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c’était là toute la force de ma défense. Il faut que mon cœur soit armé contre lui, il faut qu’à toute heure, n’importe où, je sois prête à le rencontrer et à lui dire : Souffrez en vain, mourez s’il le faut, je ne vous aime pas !

En se parlant ainsi, Caroline fut prise de l’envie subite de se pencher en avant, d’abandonner l’étrier et de se laisser tomber dans l’abîme. Enfin la fatigue vainquit ses agitations ; le chemin montait toujours, mais moins rapidement et en s’éloignant assez de la coupure du ravin pour que tout danger fût passé. La lenteur de la marche, le balancement monotone de la pièce de bois et le grincement régulier des jougs contre le timon assoupirent son esprit. Elle regardait passer lentement devant elle les roches fantastiquement éclairées et la tête des arbres, dont le jeune feuillage ressemblait à des nuées transparentes. Le froid devenait assez piquant à mesure qu’on s’élevait au-dessus des vallées, et la sensation de cet air vif était engourdissante. Le torrent disparaissait dans la profondeur, mais sa voix forte et fraîche remplissait la nuit d’harmonies sauvages. Caroline sentit ses paupières s’alourdir, et comme elle jugeait n’être pas loin de Lantriac et ne voulait pas se laisser emmener jusqu’à Laussonne, elle sauta à terre et marcha pour se réveiller.

Elle savait que Lantriac était dans un pli de montagne, et qu’elle en serait bien près quand elle aurait perdu de vue le torrent de la Gâgne. En effet, au bout d’une demi-heure de marche, elle vit les maisons se