Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/329

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le mascaron d’une fontaine n’en sont pas plus sûrs. Cette tête a été mise à l’abri de la destruction dans le rez-de-chaussée d’une tourelle avec un amas de boulets de pierre trouvés dans le puits. Je me suis amusée à en faire le dessin que je t’envoie dans cette lettre avec le portrait en pied de mon petit Didier, couché tout entier et endormi sur la tempe du dieu. Cela ne lui ressemble pas, mais le croquis te donne l’idée du bizarre et charmant tableau que j’ai eu sous les yeux pendant un quart d’heure.

« Au reste, je ne lis pas ici, je n’ai pas les huit ou dix volumes épars et la grosse vieille bible protestante de Peyraque. Je ne cherche plus à m’instruire et je n’y songe guère. Je raccommode les hardes de mon Didier en le suivant pas à pas ; je rêve, je suis triste sans révolte et sans m’étonner davantage d’une situation que je dois subir, — et je me porte bien, c’est là l’important.

« Le bon Peyraque arrive et m’apporte ta lettre. Ah ! ma sœur, ne faiblis pas, ou je suis désespérée ! Tu dis qu’il est pâle et déjà malade, qu’il t’a fait tant de peine que tu as failli me trahir. Camille, si tu n’as pas la force de voir souffrir un homme courageux et si tu ne comprends pas que mon courage seul peut soutenir le sien, je partirai, j’irai plus loin, et tu ne sauras pas où je suis. Tiens-toi pour avertie que le jour où je verrai ici, sur le sable de mon île, la trace d’un pied étranger, je disparaîtrai si bien que… »

Caroline n’acheva pas d’écrire la phrase ; Peyraque,