Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/36

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long, et vivre avec elle sans désemparer est une fatigue, en dépit du grand attrait qu’elle exerce. Ses mains sont parfaitement oisives : elle a pourtant la vue perçante et les doigts encore agiles, car elle joue assez bien du piano ; mais elle dédaigne tout ce qui distrait de la causerie et ne m’a encore demandé ni lecture ni musique. Elle dit qu’elle tient mes talents en réserve pour la campagne, où elle se trouve moins entourée et où nous devons aller dans deux mois. J’aspire beaucoup à cette campagne, car ici la vie physique est par trop supprimée. Et puis cette bonne marquise a l’habitude de vivre dans une température de Sénégal ; en outre elle se couvre de parfums, et son appartement est rempli des fleurs les plus violentes ; c’est fort beau à voir, mais l’absence d’air rend cela bien dur à respirer.

Par-dessus le marché, il faut être oisive comme elle. J’ai essayé dans le commencement de broder à ses côtés ; j’ai vu bien vite que cela lui portait sur les nerfs. Elle me demandait si j’étais à la journée, si ce que je faisais était bien pressé, bien utile, et elle me dérangeait dix fois sans autre motif que celui de voir abandonner cet ouvrage qui l’agaçait. Enfin j’ai dû y renoncer, elle en serait tombée malade. Elle m’en a su gré, et afin de m’ôter le droit de faire un nouvel essai, elle m’a dit sa façon de penser naïvement. Elle prétend que les femmes qui occupent leurs mains et leurs yeux à ces travaux d’aiguille y mettent beaucoup plus de leur esprit qu’elles ne veulent se l’avouer à elles-