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VI


Caroline, en dépit d’elle-même, commençait à trouver quelque chose de blessant dans sa situation. Elle avait cherché à s’étourdir sur l’espèce de domesticité héroïquement acceptée. Personne moins qu’elle n’était propre à cet effacement de la volonté. Elle se sentait choquée de l’attention obstinée ou affectée que lui accordait le duc d’Aléria, et elle se voyait contrainte à renfermer son impatience et son dédain. — Ce n’est pas dans la pauvre maison de ma sœur, se disait-elle, que je serais condamnée à subir les compliments de ce personnage. Je les ferais cesser d’un mot. Il me traiterait de prude, cela m’importerait peu. On le chasserait, et tout serait dit. Ici je dois être enjouée et convenable comme une femme du monde, prendre tout par le côté léger, ne rien trouver d’offensant dans la galanterie d’un homme perdu. Il faut que je devine la science des femmes rompues à ce manège ; si je suis brusque comme ma franchise me porte à l’être, le duc prendra du dépit, il me calomniera pour se venger, peut-être pour me faire chasser. Chasser ! oui, dans ma position, on peut être surpris par une machination et se voir congédiée sans plus de façon qu’un domestique. Voilà les dangers et les outrages auxquels je suis exposée. J’ai eu tort de venir ici.