Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/14

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dans ces alternatives de clarté éblouissante et de lourdes ténèbres. Le cavalier n’eut pas le temps de bien voir le piéton ; il lui sembla vêtu misérablement et n’avoir pas très bonne mine. Il paraissait même vouloir se cacher, en s’enfonçant le plus possible sous la roche ; mais dès qu’il eut jugé, à une exclamation du jeune voyageur, qu’il avait été aperçu, il lui adressa sans hésiter la parole, d’une voix forte et assurée :

« Voilà un mauvais temps pour se promener, monsieur, et si vous êtes sage, vous retournerez coucher à Éguzon.

— Grand merci, l’ami ! » répondit le jeune homme en faisant siffler sa forte cravache à tête plombée, pour faire savoir à son problématique interlocuteur qu’il était armé.

Ce dernier comprit fort bien l’avertissement, et y répondit en frappant le rocher, comme par désœuvrement, avec un énorme bâton de houx qui fit voler quelques éclats de pierre. L’arme était bonne et le poignet aussi.

« Vous n’irez pas loin ce soir par un temps pareil, reprit le piéton.

— J’irai aussi loin qu’il me plaira, répondit le cavalier, et je ne conseillerais à personne d’avoir la fantaisie de me retarder en chemin.

— Est-ce que vous craignez les voleurs, que vous répondez par des menaces à des honnêtetés ? Je ne sais pas de quel pays vous venez, mon jeune homme, mais vous ne savez guère dans quel pays vous êtes. Il n’y a, Dieu merci, chez nous, ni bandits, ni assassins, ni voleurs. »

L’accent fier mais franc de l’inconnu inspirait la confiance. Le jeune homme reprit avec douceur :

« Vous êtes donc du pays, mon camarade ?

— Oui, monsieur, j’en suis, et j’en serai toujours.

— Vous avez raison d’y vouloir rester : c’est un beau pays.