Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/171

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tour de vous, que vous ne serez plus obligé de vous épuiser seul pour stimuler tous les autres. Comment pourrait-il en être autrement aujourd’hui, et de quoi vous plaignez-vous ?

« Sous la loi de l’égoïsme, chacun donne sa force et sa volonté en proportion de ce qu’il en retire de profits. Belle merveille, que vous, qui recueillez tout, vous soyez le seul ardent et assidu, tandis que le salarié, qui ne recueillera chez vous qu’une aumône un peu plus libérale qu’ailleurs, ne vous apporte qu’un peu plus de son zèle.

« Vous augmentez le salaire, c’est beau sans doute, et, vous valez mieux que la plupart de vos concurrents qui voudraient le diminuer ; mais vous pouvez décupler, centupler le zèle, faire éclore comme par miracle le feu du dévouement, l’intelligence du cœur dans ces âmes engourdies et affaissées, et vous ne le voudriez pas !

« Et pourquoi donc, mon père ? Ce ne sont pas les jouissances du luxe que vous aimez, puisque vous ne jouissez de rien, si ce n’est de l’ivresse de vos projets et de vos conquêtes. Eh bien, supprimez le bénéfice personnel : vous n’en avez que faire, et moi j’y renonce avec transport. Soyons seulement les dépositaires et les gérants de la conquête commune. Cette fortune rêvée, dont vous n’osez pas dire le chiffre, dépassera tellement vos prévisions et vos espérances, que bientôt vous aurez acquis de quoi donner à vos travailleurs des jouissances morales, intellectuelles et physiques, qui en feront des hommes nouveaux, des hommes complets, de vrais hommes, enfin ! car jusqu’ici je n’en vois nulle part. Tout équilibre est rompu ; je ne vois que des fourbes et des brutes, des tyrans et des serfs, des aigles puissants et voraces, des passereaux stupides et poltrons destinés à leur servir de pâture. Nous vivons suivant la loi aveugle de la nature sauvage ; le code de l’instinct farouche qui