Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nos pierres pour se bâtir des maisons : « Prenez, mes enfants, prenez, ce sera la première fois qu’elles auront servi à quelque chose de bon ! »

— C’est égal, reprit Janille, c’est quelque chose que d’avoir été les premiers dans son pays, et les maîtres à tout le monde !

— On sent d’autant mieux, dit la jeune fille, le plaisir d’être l’égal de tout le monde et de ne plus faire peur à personne.

— Oh ! c’est une gloire et un bonheur que j’envie ! » s’écria Émile.


XVI.

LE TALISMAN.

Si l’on eût dit, huit jours auparavant, à Gilberte, qu’un jour allait arriver où le calme de son cœur serait agité de commotions étranges, où le cercle de ses affections allait non pas seulement s’étendre pour admettre un inconnu à la suite de son père, de Janille et du charpentier, mais se briser soudainement pour placer un nouveau nom au milieu de ces noms chéris, elle n’eût pu croire à un tel miracle, et elle s’en fût effrayée.

Et pourtant elle sentit vaguement que désormais l’image de ce jeune homme aux cheveux noirs, à l’œil de feu, à la taille élancée, allait s’attacher à tous ses pas et la poursuivre jusque dans son sommeil.

Elle repoussait une telle fatalité, mais sans pouvoir s’y soustraire. Son âme douce et chaste n’allait point au-devant de l’ivresse qui venait la chercher ; mais elle devait la subir, et elle la subissait déjà depuis que la main d’Émile avait frémi et tremblé en touchant la sienne.

Puissance inouïe et mystérieuse d’un attrait que rien ne peut conjurer, et qui dispose de la jeunesse avant