Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/206

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Tenez, dit Gilberte en riant, et détachant une fleur de sa ceinture, voici la plus belle rose de mon jardin : il y aura peut-être dans son parfum une vertu salutaire pour endormir la prudence et adoucir la férocité de son ennemi. Laissez-la sur sa table, tâchez de la lui faire admirer et respirer. Il est horticulteur et n’a peut-être pas, dans son grand parterre, un aussi bel échantillon que ce produit de mes greffes de l’an passé. Si j’étais une châtelaine de ce bon temps que regrette Janille, je saurais peut-être faire une conjuration pour attacher un pouvoir magique à cette fleur. Mais, pauvre fille, je ne sais que prier Dieu, et je lui demande de répandre la grâce dans ce cœur farouche, comme il a fait descendre la rosée pour ouvrir ce bouton de rose.

— Serai-je donc vraiment forcé de lui laisser mon talisman ? dit Émile en cachant la rose dans son sein ; et ne dois-je pas le garder pour qu’il me serve une autre fois ? »

Le ton dont il fit cette demande et l’émotion répandue sur son visage causèrent à Gilberte un instant de surprise ingénue.

Elle le regarda d’un air incertain, ne pouvant pas encore comprendre le prix qu’il attachait à la fleur détachée de son sein.

Elle essaya de sourire comme à une plaisanterie, puis elle se sentit rougir, et Janille reparaissant, elle ne répondit rien.

Émile, enivré d’amour, descendit avec une audacieuse rapidité le sentier dangereux de la colline. Quand il fut au bas, il osa se retourner, et vit Gilberte, qui, de sa terrasse plantée de rosiers, le suivait des yeux, bien qu’elle eût les mains occupées, en apparence, à tailler ses plantes favorites.

Elle n’était pas mise avec recherche, à coup sûr, ce jour-là plus que les autres. Sa robe était propre, comme