Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/208

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Janille avait été sur le sentier opposé à la rencontre de son maître. Ce ne fut qu’en entendant la voix de son père que Gilberte s’arracha au charme qui la retenait. C’était la première fois qu’elle se laissait devancer par Janille pour le recevoir et le débarrasser de sa gibecière et de son bâton.

À mesure qu’il se rapprochait de Boisguilbault, Émile faisait son plan et le refaisait cent fois pour attaquer la forteresse où ce personnage incompréhensible se tenait retranché.

Entraîné par son esprit romanesque, il croyait pressentir la destinée de Gilberte, et la sienne par conséquent, écrites en chiffres mystérieux dans quelque recoin ignoré de ce vieux manoir, dont il voyait les hautes murailles grises se dresser devant lui.

Grande, morne, triste et fermée comme son vieux seigneur, cette résidence isolée semblait défier l’audace de la curiosité. Mais Émile était stimulé désormais par une volonté passionnée. Confident et mandataire de Gilberte, il pressait contre ses lèvres la rose déjà flétrie, et se disait qu’il aurait le courage et l’habileté nécessaires pour triompher de tous les obstacles.

Il trouva M. de Boisguilbault, seul sur son perron, inoccupé et impassible comme à l’ordinaire. Il se hâta de s’excuser du retard apporté au dîner du vieux gentilhomme, en prétendant qu’il avait perdu son chemin, et que, ne connaissant pas encore le pays, il avait mis près de deux heures à se retrouver.

M. de Boisguilbault ne lui fit point de questions sur l’itinéraire qu’il avait suivi ; on eût dit qu’il craignait d’entendre prononcer le nom de Châteaubrun : mais par un raffinement de politesse, il assura qu’il ne savait point l’heure, et qu’il n’avait point songé à s’impatienter.

Cependant, il avait ressenti quelque agitation, comme