Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/231

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berte s’attachait, d’habitude et d’instinct, à tous les pas de son père.

Cependant elle sut bientôt que l’amitié du jeune Cardonnet et du vieux marquis avait fait de grands progrès, et qu’elle était fondée sur une remarquable conformité de principes et d’idées.

Mais Émile lui cachait le plus possible le peu de succès de ses tentatives de rapprochement entre les deux maisons : nous dirons, en son lieu, quel fut à cet égard le résultat de ses efforts.

Espérant toujours réussir avec le temps, Émile dissimulait ses fréquentes défaites ; et Gilberte, devinant les embarras et la délicatesse de la mission qu’il avait acceptée, n’insistait guère, crainte de montrer trop d’empressement et d’exigence.

Et puis, il est vrai de dire que, peu à peu, Gilberte se passionna moins pour le succès de l’entreprise, tandis que, de son côté, Émile sentait s’opérer en lui une résolution encore plus complète.

L’amour absorbe toute autre pensée ; et ces deux jeunes gens, à force de songer l’un à l’autre, n’eurent bientôt plus le loisir de penser à quoi que ce fût.

Tout leur être devint sentiment, c’est-à-dire passion, et les heures s’envolèrent dans l’ivresse de se voir, ou se traînèrent dans l’attente du moment qui devait les réunir.

Chose étrange pour M. Cardonnet, qui observait son fils avec soin, et pour Émile, qui ne se rendait plus compte de ce qui se passait en lui-même, mais chose bien naturelle pourtant et bien inévitable ! la passion qui avait absorbé toute cette première jeunesse de notre héros, c’est-à-dire le désir de s’instruire, de connaître et de prendre part à la vie générale, fit place à un doux sommeil de l’intelligence et à une sorte d’oubli de ses théories favorites.