Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/239

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Il avait besoin surtout de ce prétexte auprès de Gilberte, car il voyait bien qu’aucune observation ne viendrait de la part de M. Antoine, mais il craignait que Janille ne fît comprendre à mademoiselle de Châteaubrun qu’il y allait de sa dignité de tenir à distance un jeune homme trop riche pour l’épouser, suivant les idées du monde.

Il prévoyait bien que le jour viendrait où ses assiduités seraient remarquées.

« Mais alors, se disait-il, peut-être que je serai aimé, et que je pourrai m’expliquer sur le sérieux de mes intentions. »

Cette idée le conduisait naturellement à prévoir une opposition violente et longue de la part de M. Cardonnet ; mais alors il s’élevait en lui comme un bouillonnement d’audace et de volonté ; son cœur palpitait comme celui du guerrier qui s’élance à l’assaut, et qui brûle de planter lui-même son drapeau sur la brèche ; il se sentait frémir comme le cheval de combat que l’odeur de la poudre enivre.

Il lui arrivait quelquefois, lorsque son père accablait de sa froide et profonde colère un de ses subordonnés, de se croiser les bras, et de le mesurer involontairement des yeux :

« Nous verrons, se disait-il alors en lui-même, si ces choses m’effrayeront, et si cet ouragan me fera plier, quand on portera la main sur l’arche sainte de mon amour. Ô mon père ! vous avez pu me détourner des études que je chérissais, refouler toutes mes aspirations dans mon sein, blesser impunément mon amour-propre et froisser mes sympathies… Si vous voulez le sacrifice de mon intelligence et de mes goûts, eh bien, je me soumettrai encore ; mais celui de mon amour !… Oh ! vous avez trop de prudence et de pénétration pour l’essayer, car alors vous verriez que si je suis votre fils pour vous aimer, je