Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/264

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c’est de grever le moins qu’on peut le cultivateur laborieux. Ces gens-là me remercient, vous le voyez, et me souhaitent une longue vie. Je le crois bien ! Ils me croient très-bon, quoique ma figure ne leur plaise guère. Ils ne savent pas que je ne les aime point comme ils l’entendent, et que je ne vois en eux que des victimes que je ne puis sauver, mais dont je ne veux pas être le bourreau. Je sais fort bien que, sous une législation logique, cette propriété doit arriver à centupler ses produits. Je suis soulagé de mon ennui quand j’y songe : mais pour y songer et me nourrir de la certitude qu’elle sera un jour l’instrument du libre travail d’hommes nombreux et sages, il ne faut pas que je la voie à l’état où elle est : car ce spectacle me glace et m’attriste ! Aussi je m’y expose bien rarement. »

Il y avait en effet deux ans environ que M. de Boisguilbault n’était entré dans ses fermes, et n’avait fait le tour de ses domaines. Il ne s’y décidait que dans les cas d’absolue nécessité. Partout il était reçu avec des démonstrations de respect et d’affection qui n’étaient pas sans un mélange de terreur superstitieuse ; car ses habitudes de solitude et ses excentricités lui avaient donné, dans l’esprit de plusieurs paysans, la réputation de sorcier.

Plus d’une fois, durant l’orage, on avait dit tristement :

« Ah ! si M. de Boisguilbault voulait empêcher la grêle, il ne tiendrait qu’à lui ! mais au lieu de faire ce qu’il peut, il cherche quelque autre chose que personne ne sait et qu’il ne trouvera peut-être jamais ! »

« Eh bien, Émile, que feriez-vous de tout cela, si c’était à vous ? dit le marquis en rentrant ; car je ne vous ai pas fait faire cette assommante visite de propriétaire à d’autres fins que de vous interroger.

— J’essaierais ! répondit Émile avec vivacité.

— Sans doute, reprit le marquis, j’essaierais de fonder