Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/268

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tains. En attendant, ne revenez plus, ou revenez fort peu, car personne n’est obligé de savoir vos intentions, et Gilberte n’est pas fille à vous écouter sans être sûre de pouvoir être votre femme. »

Et puis il craignait aussi que Janille, qui avait l’esprit fort positif, ne traitât d’illusion la possibilité du consentement de M. Cardonnet, et ne lui interdît les visites fréquentes, à moins qu’il n’apportât une belle et bonne preuve de la liberté de son choix.

Il était donc plus que prouvé qu’Émile devait entamer le combat avec son père d’abord, et agir ensuite en conséquence ; à savoir : aller rarement à Châteaubrun avant d’avoir conçu un certain espoir de vaincre, ou, s’il n’y avait aucun motif d’espoir, s’abstenir de jamais troubler le bonheur de la famille de Châteaubrun par d’inutiles ouvertures, s’éloigner enfin, renoncer à Gilberte…

Mais voilà ce qu’il était impossible à Émile de comprendre au nombre des choses probables. L’idée de la mort entrerait plus facilement dans la tête d’un enfant que celle de renoncer à la femme aimée dans celle d’un jeune homme fortement épris.

Aussi Émile concevait-il plus volontiers la chance de se brûler la cervelle sous les yeux de son père que celle de plier sous sa volonté. « Eh bien ! se disait-il, je lui parlerai, dès demain, à ce maître terrible, et je lui parlerai de telle manière que je pourrai ensuite me présenter le front levé à Châteaubrun. »

Et pourtant, quand vint le lendemain, Émile, au lieu de se sentir investi de toute la force de sa volonté, se trouva si épuisé par l’insomnie et si navré de tristesse, qu’il craignit d’être faible, et ne parla point.

Quoi de plus douloureux, en effet, lorsque l’âme s’est épanouie dans un rêve délicieux, que de se voir jeté tout à coup dans une cruelle réalité ?