Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/52

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— J’y cours.

La fenêtre se referma sans que la jeune fille eût paru remarquer que celle du voyageur était ouverte, et qu’il était là, occupé à la contempler.

Un instant après, il était dans la cour, où la pluie avait, en effet, creusé de petits torrents à la place des sentiers, et il trouva dans l’écurie Sylvain Charasson, qui, tout en pansant son cheval et celui de M. Antoine, se livrait à des commentaires sur les effets d’une si mauvaise nuit, avec le paysan dont Émile Cardonnet savait enfin le prénom. Cet homme lui avait causé la veille une sorte d’inquiétude indéfinissable, comme s’il eût porté en lui quelque chose de mystérieux et de fatal. Il avait remarqué que M. Antoine ne l’avait pas nommé une seule fois, et que, lorsque Janille avait été à diverses reprises au moment de le faire, il l’avait avertie du regard afin qu’elle eût à s’observer. On l’appelait ami, camarade, vieux, toi, et il semblait que son nom fût un secret qu’on ne voulait pas trahir. Quel était donc cet homme qui avait l’extérieur et le langage d’un paysan, et qui, cependant, portait si loin ses sombres prévisions, et si haut sa terrible critique ?

Émile s’efforça de lier conversation avec lui, mais ce fut inutile ; il avait pris des manières plus réservées encore que la veille, et, lorsqu’il l’interrogea sur les ravages de la tempête, il se contenta de répondre :

« Je vous conseille de ne pas perdre de temps pour vous en aller à Gargilesse, si vous voulez encore trouver des ponts pour passer l’eau, car, avant qu’il soit deux heures, il y aura par là une dribe de tous les diables.

— Qu’entendez-vous par là ? je ne comprends pas ce mot.

— Vous ne savez pas ce que c’est qu’une dribe ? Eh bien, vous le verrez aujourd’hui, et vous ne l’oublierez