Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/94

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certain, et je veux qu’elle hennisse en signe d’amitié toutes les fois qu’elle passera devant ma porte ; je veux même qu’elle y entre malgré son maître, s’il m’oublie. »

Janille, malgré l’économie parcimonieuse qui présidait à toutes ses actions, apporta sans hésiter un peu d’avoine qu’elle tenait en réserve pour les grandes occasions. Elle trouvait bien que c’était une superfluité ; mais, pour l’honneur de la maison de son maître, elle eût vendu son dernier casaquin, et cette fois elle se disait avec une malice généreuse que le présent qu’Émile lui avait fait à leur dernière entrevue, et celui qu’il ne manquerait pas de lui faire encore, seraient plus que suffisants pour nourrir splendidement son cheval, chaque fois qu’il lui plairait de revenir.

« Mange, mon garçon, mange », dit-elle en caressant le cheval d’un air qu’elle s’efforçait de rendre mâle et déluré ; puis, faisant un bouchon de paille, elle se mit en devoir de lui frotter les flancs.

« Laissez, dame Janille, s’écria Émile en lui ôtant la paille des mains. Je ferai moi-même cet office.

— Croyez-vous donc que je ne m’en acquitterai pas aussi bien qu’un homme ? dit la petite bonne femme omni-compétente. Soyez tranquille, monsieur, je suis aussi bonne à l’écurie qu’au garde-manger et à la lingerie ; et si je ne faisais pas ma visite au râtelier et à la sellerie tous les jours, ce n’est pas ce petit évaporé de jockey qui tiendrait convenablement la jument de monsieur le comte. Voyez comme elle est propre et grasse, cette pauvre Lanterne ! Elle n’est pas belle, Monsieur, mais elle est bonne ; c’est comme tout ce qu’il y a ici, excepté ma fille qui est l’une et l’autre.

— Votre fille ! dit Émile frappé d’un souvenir qui ôtait quelque poésie à l’image de mademoiselle de Château-