Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
LE PÉCHÉ

Émile mit son cheval au galop, passa près de Galuchet sans avoir l’air de le reconnaître, et, arrivant le premier à Châteaubrun, il l’annonça à Gilberte comme une inévitable calamité.

« Ah ! mon père, dit la jeune fille, ne recevez pas cet homme si mal élevé et si déplaisant, je vous en supplie ! ne nous laissez pas gâter notre Châteaubrun, et notre intérieur, notre laisser-aller si doux, par la présence de cet étranger, qui ne peut et qui ne doit jamais sympathiser avec nous.

— Et que veux-tu donc que j’en fasse ? répondit M. de Châteaubrun embarrassé. Je l’ai invité à venir quand il voudrait ; je ne pouvais prévoir que toi, qui es si tolérante et si généreuse, tu prendrais en grippe un pauvre hère, à cause de son peu d’usage et de sa triste figure. Moi, ces gens-là me font peine ; je vois que chacun les repousse et qu’ils s’ennuient d’être au monde !

— Ne croyez pas cela, dit Émile. Ils s’y trouvent fort bien, au contraire, et s’imaginent plaire à tous.

— En ce cas, pourquoi leur ôter une illusion, sans laquelle il leur faudrait mourir de chagrin ? Moi, je n’ai pas ce courage, et je ne crois pas que ma bonne Gilberte me conseille de l’avoir.

— Mon trop bon père ! dit Gilberte en soupirant, je voudrais l’avoir aussi, cette bonté, et je crois l’avoir en général ; mais cet être suffisant et satisfait de lui-même, qui semble m’insulter quand il me regarde, et qui m’appelle par mon nom de baptême le premier jour où il me parle ! non, je ne puis le supporter, et je sens qu’il me fait mal parce que sa vue me porte au dédain et à l’ironie, contrairement à mes instincts et à mes habitudes de caractère.

— Il est certain que M. Galuchet se familiarisera beaucoup avec mademoiselle, dit Émile à M. Antoine, et que vous serez forcé plus d’une fois de le rappeler au respect