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DE M. ANTOINE

qu’il lui doit. S’il arrive qu’il vous oblige de le chasser, vous regretterez de l’avoir accueilli avec trop de confiance. Ne vaudrait-il pas mieux lui faire entendre aujourd’hui par un accueil un peu froid que vous n’avez pas oublié la manière grossière dont il s’est comporté à sa première visite ?

— Ce que je vois de mieux pour arranger l’affaire, dit M. de Châteaubrun, c’est que vous alliez vous promener dans le verger avec Janille ; moi, j’emmènerai le Galuchet à la pêche, et vous en serez débarrassés. »

Cette proposition ne plaisait pas beaucoup à Émile. Lorsqu’il était sous la surveillance de M. de Châteaubrun, il pouvait se croire presque tête à tête avec Gilberte, au lieu que Janille était un tiers autrement actif et clairvoyant. Et puis Gilberte pensait qu’il y avait de l’égoïsme à laisser son père subir seul le fardeau d’une telle visite. « Non, dit-elle en l’embrassant, nous resterons pour te faire enrager ; car si nous tournons le dos, tu vas redevenir si doux et si bon, que ce monsieur se croira, une fois pour toutes, le très bien venu. Oh ! je te connais, père ! tu ne pourras pas t’empêcher de le lui dire et de le retenir à table, et il boira encore ! Il est donc bon que je reste ici pour le forcer à s’observer.

— D’ailleurs je m’en charge, dit Janille, qui avait écouté jusque-là sans dire son avis, et qui haïssait Galuchet, depuis le jour où il avait marchandé avec elle pour une pièce de dix sous qu’elle lui avait demandée après lui avoir montré les ruines. J’aime beaucoup que monsieur boive son vin avec ses amis et les gens qui lui font plaisir ; mais je ne suis pas d’avis de le gaspiller avec des pique-assiettes, et je vais baptiser d’importance celui de M. Galuchet. Ah ! mais, monsieur, tant pis pour vous, qui n’aimez point l’eau, cela vous forcera de ne pas rester longtemps à table.