Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/278

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n’avait, la nuit, entendu ses soupirs et vu couler ses larmes. Il avait pour la grandeur et les souffrances qu’il soupçonnait en elle un respect si sincère et si profond, qu’il n’avait encore osé la prier ni d’ôter son masque, ni de lui dire son nom. Comme elle ne lui avait pas demandé le sien, il eût rougi de se montrer plus curieux et plus indiscret qu’elle, et il était résolu à tout attendre de son bon plaisir, et rien de sa propre importunité. Elle sembla comprendre la délicatesse de sa conduite et lui en savoir gré ; car, à chaque entrevue, elle lui témoigna plus de confiance et de sympathie. Quoiqu’il n’eût pas été prononcé entre eux un seul mot d’amour, Franz eut donc lieu de croire qu’elle connaissait sa passion et se sentait disposée à la partager. Ses espérances suffisaient presque à son bonheur ; et quand il se sentait un désir plus vif de connaître celle qu’il nommait déjà intérieurement sa maîtresse, son imagination, frappée et comme rassurée par le merveilleux qui l’entourait, la lui peignait si parfaite et si belle, qu’il redoutait en quelque sorte le moment où elle se dévoilerait à lui.

Une nuit qu’ils erraient ensemble sous les colonnades de Saint-Marc, la femme masquée fit arrêter Franz devant un tableau qui représentait une fille agenouillée devant le saint patron de la basilique et de la ville.

« Que dites-vous de cette femme ? lui dit-elle après lui avoir laissé le temps de la bien examiner.

— C’est, répondit-il, la plus merveilleuse beauté que l’on puisse, non pas voir, mais imaginer. L’âme inspirée de l’artiste a pu nous en donner la divine image, mais le modèle n’en peut exister qu’aux cieux. »

La femme masquée serra fortement la main de Franz.

« Moi, reprit-elle, je ne connais pas de visage plus beau que celui du glorieux saint Marc, et je ne saurais