Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/279

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aimer d’autre homme que celui qui en est la vivante image. »

En entendant ces mots, Franz pâlit et chancela comme frappé de vertige. Il venait de reconnaître que le visage du saint offrait avec le sien la plus exacte ressemblance. Il tomba à genoux devant l’inconnue, et, lui saisissant la main, la baigna de ses larmes, sans pouvoir prononcer une parole.

« Je sais maintenant que tu m’appartiens, lui dit-elle d’une voix émue, et que tu es digne de me connaître et de me posséder. À demain, au bal du palais Servilio. »

Puis elle le quitta comme les autres fois, mais sans prononcer les paroles, pour ainsi dire sacramentelles, qui terminaient ses entretiens de chaque nuit. Franz, ivre de joie, erra tout le jour dans la ville, sans pouvoir s’arrêter nulle part. Il admirait le ciel, souriait aux lagunes, saluait les maisons, et parlait au vent. Tous ceux qui le rencontraient le prenaient pour un fou et le lui montraient par leurs regards. Il s’en apercevait, et riait de la folie de ceux qui raillaient la sienne. Quand ses amis lui demandaient ce qu’il avait fait depuis un mois qu’on ne le voyait plus, il leur répondait : « Je vais être heureux », et passait. Le soir venu, il alla acheter une magnifique écharpe et des épaulettes neuves, rentra chez lui pour s’habiller, mit le plus grand soin à sa toilette, et se rendit ensuite, revêtu de son uniforme, au palais Servilio.

Le bal était magnifique ; tout le monde, excepté les officiers de la garnison, était venu déguisé, selon la teneur des lettres d’invitation, et cette multitude de costumes variés et élégants, se mêlant et s’agitant au son d’un nombreux orchestre, offrait l’aspect le plus brillant et le plus animé. Franz parcourut toutes les salles, s’approcha de tous les groupes, et jeta les yeux sur toutes les femmes. Plusieurs étaient remarquablement belles, et