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DE M. ANTOINE

fice social ? Il faut être bien fort, Émile, pour protester contre elle ; car alors il faut se résoudre à être sacrifié.

— Ah ! si j’étais seul victime de mon sacrifice, dit le jeune homme avec douleur ; mais elle ! la pauvre et sainte créature ! il faudra donc qu’elle soit sacrifiée aussi !

— Dites-moi, Émile, si elle vous conseillait de mentir, l’aimeriez-vous encore ?

— Je n’en sais rien ! je crois que oui ! Puis-je prévoir un cas où je ne l’aimerais plus, puisque je l’aime ?

— Vous aimez, je le vois ! Hélas ! moi aussi, j’ai aimé !

— Oh ! dites-moi, eussiez-vous sacrifié l’honneur ?

— Peut-être, si on m’eût aimé !

— Oh ! faibles humains que nous sommes ! s’écria Émile. Eh quoi ! ne trouverai-je pas un appui, un guide, un secours dans ma détresse ? Personne ne me donnera-t-il la force ? La force, mon Dieu ! je te la demande à genoux ; et jamais je n’ai prié avec plus de foi et d’ardeur : je te demande la force ! »

Le marquis s’approcha d’Émile et le pressa contre son cœur. Des larmes coulaient sur ses joues ; mais il garda le silence, et ne l’aida point.

Émile pleura longtemps dans son sein et sentit qu’il aimait cet homme, que chaque épreuve lui révélait plus sensible que réellement fort. Il l’en aimait davantage, mais il souffrait de ne point trouver en lui le conseil énergique et puissant sur lequel il avait compté dans sa faiblesse. Il le quitta à l’entrée de la nuit, et le marquis se borna à lui dire : « Revenez demain, il faut que je sache ce que vous avez décidé. Je ne dormirai pas que je ne vous aie vu plus calme. »

Émile prit le plus long pour revenir à Gargilesse ; il fit un détour qui lui permit de passer à peu de distance de Châteaubrun par des sentiers couverts qui le dérobaient aux regards, et quand il vit les ruines d’assez près, il