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LE PÉCHÉ

s’arrêta éperdu, songeant à ce que devait souffrir Gilberte depuis la cruelle visite de son père, et n’osant lui porter de meilleures nouvelles, dans la crainte de perdre tout courage et toute vertu.

Il était là depuis quelques instants, sans pouvoir se décider à rien, lorsqu’il s’entendit appeler à voix basse, avec un accent qui le fit tressaillir ; et jetant les yeux sur un petit bois de chênes qui bordait le chemin à sa droite, il vit dans l’ombre un pan de robe qui glissait derrière les arbres. Il s’élança de ce côté, et, lorsqu’il se fut assez engagé dans le bois pour n’avoir à craindre aucun témoin, Gilberte se retourna et l’appela encore.

« Venez, Émile, lui dit-elle lorsqu’il fut à ses côtés. Nous n’avons pas un instant à perdre… Mon père est dans la prairie, tout près d’ici. Je vous ai aperçu et reconnu au moment où vous descendiez dans ce chemin, et je me suis éloignée sans rien dire, pendant qu’il cause avec les faucheurs. J’ai une lettre à vous montrer, une lettre de M. Cardonnet ; mais la nuit ne nous permet pas de la lire, et je vais vous la dire à peu près mot à mot. Je la sais par cœur. »

Et quand Gilberte eut en quelque sorte récité cette lettre :

« Maintenant, dit-elle, expliquez-moi ce que cela signifie… Je crois le comprendre ; mais j’ai besoin de le savoir de vous.

— Ô Gilberte ! s’écria Émile, je n’ai pas eu le courage d’aller vous le dire ; mais c’est la volonté de Dieu qui fait que je vous rencontre, et que mon sort va être décidé par vous. Dites-moi, ô ma Gilberte ! ô mon premier et dernier amour ! savez-vous pourquoi je vous aime ?

— C’est apparemment, répondit Gilberte en lui abandonnant sa main qu’il pressa contre ses lèvres, parce que vous avez deviné en moi un cœur fait pour vous aider.

— Eh bien, ma seule amie, mon seul bien en ce monde,