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LE PÉCHÉ

pour nous deux. Je ne serai pas le prix d’une trahison.

— Ô noble fille ! s’écria Émile en se jetant à ses genoux et en les embrassant avec ferveur ; je vous adore comme mon Dieu et vous bénis comme ma providence ! Mais je n’ai pas votre courage ; qu’allons-nous devenir ?

— Hélas ! dit Gilberte, nous allons cesser pendant quelque temps de nous voir. Il le faut ; mon père et Janille étaient présents lorsque la lettre de votre père est arrivée. Mon pauvre père était ivre de joie et ne comprenait rien aux objections de la fin. Il vous a attendu toute la journée, et il vous attendra tous les jours, jusqu’à ce que je lui dise que vous ne devez pas venir, et alors j’espère que je pourrai justifier votre conduite et votre absence. Mais Janille ne vous pardonnera pas de longtemps ; déjà elle s’étonne, s’inquiète et s’irrite de ce que vous tardez, et de ce que votre père semble attendre votre autorisation pour venir me demander en mariage. Si vous lui disiez maintenant ce que j’exige que vous fassiez, elle vous maudirait, et vous bannirait à jamais de ma présence.

— Ô mon Dieu ! s’écria Émile, ne plus vous voir ! non, c’est impossible !

— Eh bien ! mon ami, qu’y aura-t-il donc de changé entre nous ? Est-ce que vous cesserez de m’aimer, parce que, pendant quelques semaines, quelques mois peut-être, vous ne me verrez pas ? est-ce que nous allons nous dire un adieu éternel ? est-ce que vous ne croirez plus en moi ? N’avions-nous pas prévu des obstacles, des souffrances, des époques de séparation ?

— Non, non, dit Émile, je n’avais rien prévu, je ne pouvais pas croire que cela dût arriver ! je n’y crois pas encore !…

— Ô mon cher Émile ! ne manquez pas de force quand j’ai besoin de toute la mienne. Vous avez juré de vaincre la résistance de votre père, et vous la vaincrez. Voici déjà un de ses plus puissants efforts que nous venons de dé-